Présentation de Molloy

Bonjour à tous et bravo pour ce forum.

J’avais créé dans les années 1980 un studio de création graphique vidéotex, et, en fouillant dans mes archives numériques, j’ai découvert que j’avais conservé notre production de l’époque : des milliers de pages constituant des dizaines de services Minitel.

Je cherche un moyen de « jouer » ces pages sur un PC ou un Mac pour voir à quoi elles ressemblent, et peut-être envisager de les publier sur un site web ou une app.

Merci d’avance pour vos conseils,

Molloy

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Bienvenue parmi nous Molloy !!!

F4GXS

Bienvenue à toi, Molloy

C’est toujours une bonne surprise de retrouver des productions d’époque. Comme je répondais à ton post, je ne vois pas, dans l’immédiat, de solution « toute faite ».

Par contre, je peux te proposer de « les mettre en ligne » sur un serveur Videotex dédié …

Pareil… j’ai mis en ligne déjà certaines galleries

Essaye https://3615co.de/ code GRAPHITEX

Salut Molloy,

Voici ce que j’ai retrouve en faisant quelques recherches, un article qui retrace l’histoire de la creation de ta societe:

Les dessins animés de JET7 pour le Minitel :

modeste contribution à une histoire de la création sous contrainte Vidéotex

Article paru dans Formules n°9 (2005) Voir l’article sans cadre ou imprimer l’article

Situons d’abord les personnages du récit qui va suivre dans leur cadre historique et technique : nous sommes à la fin de l’année 1984. L’Internet n’existe pas — en tout cas pas en France — et le Web n’est pas encore inventé. Mais le Minitel s’est installé, propulsé dans tous les foyers français par l’usage des messageries roses et de la killer application que constitue « le 11 », l’annuaire électronique.

Dès 1985, avec l’apparition du « kiosque » et de ses paliers tarifaires (le 3615 en particulier), une multitude de prestataires se développent autour des éditeurs de services vidéotex que sont à l’époque le Parisien — encore libéré —, le groupe Hachette Filipacchi, Actuel, Libération, mais aussi les distributeurs, les services publics, les SSII et leurs agences de communication, elles aussi intéressées par l’argent facile que promet ce nouveau média.

Au sein de l’équipe télématique du Parisien Libéré, dit familièrement le « PL », une bande de copains créatifs, parmi lesquels Stephen Belfond (fils de l’éditeur Pierre Belfond) et Bertrand Dietz, se passionnent pour les technologies de l’information et ce qu’on peut en faire d’un point de vue littéraire ou ludique malgré — ou à cause — de terribles contraintes techniques, liées à la norme vidéotex.

Bref ils font des exercices de style pas toujours compatibles avec les nécessités économiques, mais le 3615 PL marche bien, porté par les jeux, la voyance, les tests de QI et surtout les « messageries roses ». En mars 1986, le marché se développant à grande vitesse, les copains quittent le « PL » pour fonder la société JET7, fièrement autoproclamée « conseil et grand couturier vidéotex », qui connut son heure de gloire artistique et financière, quoique jamais médiatique.

Qu’est-ce que le vidéotex et quelles sont ses contraintes ? Il est indispensable de le comprendre pour apprécier à leur juste valeur les créations issues du délire collectif de cette bande d’amis.

Les terribles contraintes du vidéotex

La création de pages Minitel se heurte à deux contraintes majeures : d’une part un réseau d’une extrême lenteur, qui ne permet de recevoir au maximum que 120 caractères par seconde, d’autre part la norme vidéotex — bizarre et difficilement compréhensible — qui n’a jamais pu se développer en dehors de la France.

L’espace de création autorisé, l’écran du Minitel, se compose d’un damier de 40 colonnes et de 24 rangées, définissant 960 cases dont chacune ne peut contenir qu’un seul caractère, une seule « couleur » ou plutôt nuance de gris, et un seul fond.

Même si en mode dit graphique, cette case peut se subdiviser en six petits pavés — même pas égaux —, ce mode est si lourd en octets et si lent à charger que ceux qui l’utilisent pour créer des pages d’accueil ou des illustrations sont vite accusés de racket par les minitélistes qui se voient facturer deux francs chaque minute de consultation. Le mode dit graphique est de plus incompatible, dans une même case, avec le mode dit alphanumérique qui prédomine donc.

La police de caractères du Minitel est une police à chasse fixe, c’est-à-dire dont tous les caractères occupent la même largeur, qu’il s’agisse d’un i ou d’un m. Elle est unique, ce qui empêche évidemment de combiner, comme sur le papier, les caractères à empattements et les caractères bâtons. Elle n’offre en outre qu’un seul corps, de la taille de la case dans laquelle s’inscrit le signe. Toutefois (piètre consolation), chacun de ces signes alphanumériques peut être affiché en « double largeur », « double hauteur », et même avec ces deux attributs simultanément, ce qui permet au moins de faire des titres dignes de ce nom. L’italique et le gras, petits « bonus » concédés, sont hideux, de même que le clignotement, vite fatigant pour les yeux. Il est certes possible de jouer avec huit nuances de gris, du blanc au noir. Ne rêvons pas : une fois qu’on a commencé une ligne avec un fond de gris, il est impossible d’en changer en cours de route ! On l’aura compris, tous ces gadgets ne modifient pas la réalité : la contrainte de la norme vidéotex est vraiment terrible. « Sans doute parce qu’elle a été élaborée par des ingénieurs de France Télécom », suggère aujourd’hui Stephen Belfond avec un rien de perfidie.

Elle est d’autant plus terrible que les créateurs de l’époque composent leurs pages à partir d’énormes machines « dédiées » appelées composeurs vidéotex, formées d’un écran de télévision (le « moniteur »), d’un lecteur de disquettes souples 9 pouces, et d’un clavier spécialisé presque aussi long que celui d’un piano. La « page Minitel » est l’unité de base ; on la crée avec le clavier sur le moniteur, puis on appuie sur un bouton pour générer l’écran entier du Minitel, avec ses 24 rangées et ses 40 colonnes d’un seul coup, de haut en bas et de gauche à droite. Si la page ne convient pas, tout est à recommencer !

La révolution du Wysiwyg

Aussi, lorsque Stephen Belfond rencontre dès 1984 Philippe de Pardailhan, ex-grand-reporter radio reconverti dans la technologie, il s’enthousiasme pour les améliorations que celui-ci apporte à la composition vidéotex. La révolution de la souris est alors en marche avec l’arrivée des premiers Macintosh. Au lieu de générer les pages entières, Philippe opère des sélections avec sa souris grâce à un logiciel de son invention, et n’envoie sur le Minitel que des morceaux de page, ce qui va beaucoup plus vite. Or, se dit Stephen, à partir du moment où l’on n’envoie que des morceaux, on peut scénariser l’affichage de la page… et à partir du moment où l’on peut le scénariser, on peut raconter une histoire !

La deuxième innovation de Philippe de Pardailhan nécessite, pour l’expliquer, d’aller un peu plus avant dans la technique : les codes vidéotex transitent en effet sur le réseau selon un format appelé code hexadécimal(1) qui est la vraie grammaire du vidéotex. Avoir accès à ce code, c’est avoir accès au cœur même de l’écriture vidéotex. Pour continuer la métaphore, c’est pouvoir manipuler des « syllabes » et des « lettres » alors qu’avec la souris on ne peut atteindre que des « mots », à peine des « syllabes », et que les gros composeurs vidéotex ne permettent même pas d’accéder aux « mots ». Pour la première fois, avec l’invention de Philippe, baptisée Graphitex, le directeur artistique bénéficie d’un éditeur vidéotex Wysiwyg (2), qui traduit le dessin et les lettres en code, à l’instar de ce que font aujourd’hui les éditeurs HTML(3) pour les pages Web, et qui raccourcit considérablement le travail d’exécution.

Nous sommes en 1986. Forts de leur Graphitex et de leurs idées, Stephen Belfond et Bertrand Dietz décident donc de quitter le « PL » pour fonder leur propre société, JET7. Après quelques premiers tests où ils parviennent à mettre en scène des escrimeurs qui « bougent » vraiment, Bertrand passe à la vitesse supérieure et crée un dessin animé d’environ soixante secondes, L’Amour sur une table basse. L’œuvre est présentée à Philippe Jannet, autre ancien du « PL » passé chez Hachette Filipacchi, qui s’enthousiasme pour l’innovation et en pressent les applications futures comme leurs implications économiques. L’Amour sur une table basse est publié sur le site de Lui où il « cartonne » au point que l’investissement est amorti en un après-midi. Philippe Jannet fait alors travailler un graphiste d’Hachette sur trois épisodes tirés des Onze mille verges, le roman d’Apollinaire, que Roger Lajus, patron de la télématique d’Hachette Filipacchi et (mais est-ce vraiment une coïncidence ?) membre du Collège de 'Pataphysique, décide de placer sur l’ensemble des services du groupe — 3615 LUI, 3615 SAVA, 3615 PENTHOUSE, 3615 NEWLOOK —, alors leader du marché.

Devant le succès, neuf épisodes supplémentaires du roman sont commandés à prix plaqué or (un forfait de 10 000 F par épisode !), cette fois directement à JET7 où travaillent les deux meilleurs graphistes de l’époque, Thierry Keller et Sylvain Roume. Stephen et Thierry écrivent ensemble les scénarios, très fidèles à l’œuvre, se permettant simplement l’ajout de quelques « bulles », comme dans une bande dessinée.

Cette adaptation, qui fut la première des grandes réalisations de JET7, se divise en douze épisodes qui durent en tout soixante-huit minutes. Les décors fixes, suggérés mais somptueux, sont réalisés en mode graphique très long à télécharger, et ne sont donc utilisés qu’avec beaucoup de parcimonie ; de plus, ils sont prévus pour ne s’afficher qu’après les caractères numériques, de manière à ce qu’il se passe toujours quelque chose à l’écran.

Les Onze Mille Verges d'ApollinaireLes personnages en mouvement dans ces décors sont, eux, réalisés en mode alphanumérique, beaucoup plus léger. Une légèreté nécessaire pour permettre le « mouvement », ou plutôt son illusion, illusion obtenue en changeant la position des caractères aussi rapidement que le permet la vitesse du Minitel : 1200 bps ou bits par seconde. Dans l’exemple reproduit ci-contre, tiré des Onze mille verges, le personnage du haut se déplace d’avant en arrière. Ce déplacement forcément saccadé donne une impression de comique provoqué par la connotation mécanique qu’il donne à l’acte sexuel.
Le succès est tel que très vite, la série devient la rubrique la plus consultée après les messageries roses ! Il faut alors penser à la suite. Ses deux graphistes ayant été totalement épuisés par leur exploit, Stephen Belfond confie à une jeune femme repérée chez un concurrent, Sophie Marin, la réalisation graphique du scénario de Justine de Sade sur lequel il travaille. Sophie écrit directement en code hexadécimal, conçoit ses animations en code hexadécimal, pense littéralement en code hexadécimal. Elle est capable de produire quinze à vingt secondes de dessin animé par jour. Ce n’est pas sa seule qualité. Elle introduit en effet dans cet univers masculin une sensibilité féminine qui parvient à faire passer sans douleur cette « histoire épouvantable » qu’est Justine, — selon les propres termes de Stephen Belfond — sa légèreté créant un décalage très intéressant.
Justine de SadeDans la photo d’écran ci-contre, on observe l’utilisation des parenthèses « ) » et « ) » pour les seins de profil du personnage de gauche et des signes « < » et « < » pour ceux du personnage de droite, dont le costume d’époque est orné de broderies en forme de pourcentages « %%% ». Son imposante coiffure, elle aussi d’époque, est obtenue en utilisant la fonction « double hauteur » sur une des parenthèses, « ) », simple sur l’autre « ( ». « Les personnages de ce type, aux habits ornés, étaient nettement plus lents à se déplacer, parce qu’ils utilisaient un plus grand nombre de caractères, » raconte Sophie Marin. « On évitait en général d’avoir à les bouger. Ou alors, on réservait ce genre de création aux personnages secondaires. »

Les quinze épisodes — de quinze minutes chacun — génèrent jusqu’à deux millions d’appels. L’œuvre est vendue à d’autres serveurs Minitel que ceux d’Hachette et fait un moment la fortune des copains. Et pourtant, pas une phrase de Justine — intertitres compris — qui ne soit tirée de l’original, à part les bulles ! Il est difficile aujourd’hui d’imaginer le succès public de ce Justine minimaliste, succès fait essentiellement de bouche à oreille, car si la profession et le public en parlaient, la presse, elle, brillait par son silence. À part un article de Philippe Jannet dans New Look, mais il était juge et partie, rien, pas un article pour encenser ou démolir les créations de JET7.

Pour Stephen Belfond, ce désintérêt — ou ce mépris — s’explique certes par l’inculture technologique des journalistes de l’époque, mais surtout par le fait qu’il s’agit de Minitel, c’est à dire de quelque chose de français et de laid, par où la culture ne peut absolument pas passer, l’art encore moins. Si le Minitel a selon lui une si mauvaise image, ce n’est pas tant la faute des messageries roses que celle de France Télécom, qui au lieu de faire de cette invention une norme ouverte utilisable partout gratuitement, s’est toujours refusé à la publier. Les Américains ne s’y sont donc jamais intéressés, or pour qu’une innovation technologique marche en France, ne faut-il pas que les Américains s’y intéressent ?

Philippe Jannet, qui avait eu le premier l’intuition du succès commercial de JET7, rejoint l’équipe en 1988 et modifie de manière appréciable les conditions financières de l’accord avec Hachette. Cependant les créatifs, épuisés par Sade, passent — pour se reposer — aux antipodes, et tentent une adaptation d’Alice au Pays des Merveilles, qui ne « marche » évidemment pas. On en revient donc dare-dare à la littérature érotique avec un ou deux épisodes de Salo, et cinq d’Histoire d’O. Mais c’est une nouvelle traduction Chahrazadedes Mille et une Nuits, récemment parue, qui donne l’occasion à Stephen Belfond d’expérimenter une véritable approche d’éditeur. Il achète les droits de cette traduction et crée deux versions (une hard et une soft), s’inspirant ainsi d’une expérience marketing originale des éditions Belfond avec un roman de l’auteur uruguayen Mario Benedetti(4). Encore l’épithète hard ne s’applique-t-elle qu’au texte ou à l’imagination du lecteur. « Un vit, ce n’est après tout qu’un tiret ou un point d’exclamation ! » remarque Stephen avec philosophie. Et c’est le style de Sophie, tout en délicatesse suggestive et orientale, qui va contribuer au succès de Chahrazade.

Ce style, qui varie d’un auteur à l’autre, est pour Stephen Belfond la preuve qu’il y a « quelque chose au-delà de la technique ». « Chez Sylvain le trait est dur, parfois méchant, va droit au but, est empreint de son humour noir épouvantable » explique-t-il. Chez Sophie, au contraire, la sensualité et l’humour léger, sans méchanceté, dominent. Aujourd’hui encore, Stephen reconnaît au premier coup d’œil qui a créé quoi. Pourtant, les « matériaux » utilisés sont les mêmes. Le personnage masculin type de JET7, très stylisé, filiforme, est toujours formé d’une tête en « O », de jambes faites chacune avec deux barres verticales « | » l’une au dessus de l’autre, ou si la jambe est repliée, d’un caractère « > » ou « < »; avec une exception pour les personnages de nains, utilisés dans Justine pour remplacer les enfants, à cause des problèmes de censure. Le corps parfois formé de ces mêmes barres, est le plus souvent absent, simplement suggéré par la position des bras formés comme les jambes d’un caractère « < » ou « > » en double hauteur, ou de l’association d’un slash avec un tiret, ou encore par la présence d’un col en V sous lequel figure un bouton en forme de point. Lorsque le personnage mâle est nu (et en forme), son sexe est représenté par le tiret «-», redoublé pour l’action si le scénario l’exige.

Le personnage féminin type a les mêmes membres que le masculin, — sauf celui-là. Son corps est simplement évoqué par des seins plus ou moins majuscules de face et plus ou moins pointus de profil, et par le nombril, un point. Lorsque la dame exécute une danse lascive, comme dans Chahrazade, le déhanchement est traduit par la suppression de la barre verticale de la cuisse et l’apparition d’une parenthèse pour la ligne de hanche… Sophie, seule femme de l’équipe, ajoutait en effet son grain d’humour graphique à ce qui aurait pu devenir assez sexiste si la « bande de garçons immatures » qu’elle décrit était restée entièrement livrée à elle-même.

Malgré l’absence d’yeux et de nez, impossibles à représenter dans la mesure ou la tête vue de face est faite d’un seul caractère — parfois un tiret joint au O de la tête tient lieu de nez, vu de profil —, les « visages » paraissent très expressifs : cela tient selon Sophie au rythme imposé aux images pour pro¬duire le mouvement, ainsi qu’aux « bulles », pleines d’onomatopées, de points d’exclamation ou d’interrogation, qui les accompagnent.

Bien que d’après Stephen Belfond il n’existe pas un seul caractère alphanumérique qui n’ait été utilisé dans les créations de JET7, on retrouve quand même avec une fréquence significative les signes suivants :

• les slashes : « / » et « \ »,
• le symbole « ° » pour les seins (petits) ;
• la barre verticale « | » ;
• le tiret « - » et l’underscore « _ » ;
• le point « . »(pour le nombril) et les deux points « : »
• le zéro « 0 » ou le « O » majuscule ou minuscule pour la tête, parfois agrémentée d’un chapeau, « ô », d’une queue de cheval « / » ou d’une autre coiffure ;
• les parenthèses « ( » et « ) » ;
• les signes mathématiques « < » et « > » ;
• quelques lettres comme V, W, Z, M;
• les chiffres, comme le 7 (cf. plus loin le tandem de la RATP) ;
• des signes ornementaux comme %

La stylisation extrême du dessin de JET7, qui n’est pas sans rappeler celle de la « linea » d’Osvaldo Cavandoli pour la télévision, apparaît dans leur interprétation du fameux gag du personnage qui marche sur un râteau, ici interprété en flip book en haut et à droite des pages impaires de cet article et du suivant. Les perecquiens noteront avec intérêt que les dents du râteau sont symbolisées par un W. Le noir au blanc du cartoon initial a été ici inversé pour permettre une meilleure lisibilité du flip book.

Même stylisation dans ce tandem, une commande destinée à illustrer les pages « location de vélos » du 3615 RATP : peut-on faire avec moins ? Le tandem y est réduit à ses deux roues plus un « 7» pour figurer le guidon et… signer discrètement l’œuvre, mais il roule ! Les deux personnages utilisent classiquement le « 0 », les « - », les « \ » et les « > » en double hauteur. Seul celui de derrière a une colonne vertébrale, en forme de barre verticale. En tout douze caractères seulement sont utilisés. La RATP avait également commandé plusieurs dessins animés à JET7 via Triel, une agence de communication spécialisée, afin de distraire le minitéliste pendant le temps d’attente de sa recherche d’itinéraire.


L’ironie autoréférente, associée à la simplification extrême, est illustrée par ce dessin animé très court (minitoon) dans lequel les personnages discutent simplement du cadre dans lequel ils se trouvent, c’est-à-dire de l’écran noir du Minitel, dans l’angle droit duquel s’inscrit un « C » lorsque le Minitel est connecté, ou un « F » comme « fermé » lorsqu’il est déconnecté. On retrouve le même humour autoréférent et la même économie de moyens dans le minitoon de la poule qui pond un « 9 ».

À de nombreux égards, l’art de JET7 s’apparente à ce qu’on appelle aujourd’hui sur l’Internet « l’art ASCII (5) », et pour cause : le matériel utilisé — les caractères alphanumériques — est le même. Mais l’art ASCII reste, lui, essentiellement statique, malgré quelques tentatives, appelées « cinéma ASCII », d’animer des séquences par le défilement page down de l’écran, et qui n’ont jusqu’à présent trouvé ni leur créateur de génie, ni un vrai public.

Le succès, les copains de JET7 l’ont connu, mais il s’agit d’un succès éphémère, car le CTA(6), vers 1989-1990, avertit officieusement, puis de manière plus solennelle, les serveurs qui diffusent les dessins animés de JET7, qu’ils encourent la fermeture pure et simple. Les enjeux financiers étant considérables, les éditeurs obtempèrent et c’est la fin de la belle aventure. La censure aura donc eu raison de la créativité de JET7, ce qui ravit rétrospectivement Stephen Belfond :

« Moi qui ai rencontré Losfeld de son vivant, qui connaît très bien Claude Tchou ou Pauvert, je suis très fier de faire partie de leur cercle, et d’être le dernier éditeur censuré ».

Le dernier éditeur censuré est aujourd’hui à la tête d’une entreprise de conseil et réalisations informatiques, il a gardé à ses côtés l’inventeur de génie et la graphiste qui pensait en hexadécimal. L’éditeur télématique et pataphysicien goûte une retraite méritée tout en gardant quelques activités professionnelles et un bureau sur les Champs-Élysées. Le commercial intuitif dirige les activités Internet d’un quotidien économique. Mais tous gardent un souvenir émerveillé de l’aventure, dont il reste concrètement les couvres intactes, précieusement conservées par Stephen Belfond, et aujourd’hui en partie visibles sur le site de Formules à l’adresse http://www.formules.net/revue/09/justine.html.

E. Chamontin

1 Qualifie la base seize, utilisée en informatique : 16 = 24; un caractère en hexadécimal représente donc 4 bits. Les caractères utilisés sont les 10 chiffres, et des lettres (d’où le nom de « JET7 »). Retour
2 Wysiwyg : prononcer en français ouiziouig. Acronyme de « what you see is what you get », s’applique aux interfaces dites « conviviales » qui encodent automatiquement les créations de leur utilisateur.Retour
3 HTML : acronyme de « Hyper Text Markup Language ». C’est le langage de description des pages web. Retour
4 La Trêve (La tregua, 1960), roman, traduit de l’espagnol par Annie Morvan. Éditions Pierre Belfond, « Littératures étrangères » et « Grands romans », 1982, 1996. Chose rare, ce roman avait été édité simultanément dans la collection « grands romans » avec un objectif de ventes à 10 000 exemplaires, l’histoire pouvant être comprise au premier degré comme une « love story » un peu triste, et dans la collection « littérature étrangère » plus élitiste (2000 exemplaires espérés), à cause de son écriture élaborée. Le succès de l’opération, 15 000 ventes grand public et 3 000 élitistes, avait satisfait tout le monde et avait marqué Stephen Belfond.Retour
5 ASCII : Acronyme de « American Standard Code for Information Interchange », code de représentation numérique des caractères pour qu’ils soient compris par les ordinateurs. Retour
6 CTA : Comité de la Télématique Anonyme. le CTA rendait des avis à la demande des opérateurs, du Président du Conseil supérieur de la télématique ou des fournisseurs de services. Avec le déclin du Minitel, son rayon d’action s’est aujourd’hui restreint aux services Audiotel, en liaison ou non avec Internet. Retour

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C’etait un excellent article d’Elizabeth Chamontin qui est brillante et adorable.

Helas cet article n’est plus disponible sur le web mais heureusement conserve par archive.org.

Il serait je pense interressant de le re-publier pour assurer sa perenite.

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Bonjour, bienvenue parmi nous :slight_smile:

Minitelement,

Apollo12 :slight_smile: